(13h00 sur France 2)

Vendredi 22 août 2008

Enquête - Un magistrat de Montpellier écroué pour corruption

Les faits datent du 14 août mais n'ont été révélés qu'en cette fin de semaine : un substitut du procureur de la République de Montpellier a été mis en examen pour "corruption" et "violation du secret de l'instruction", et écroué à la maison d'arrêt de Seysses, près de Toulouse.

L'affaire s'est déroulée en deux temps. En premier lieu, une enquête a été lancée au sujet d'un dentiste de Montpellier : la justice le soupçonne d'avoir facturé des actes qu'il n'aurait pas réalisés. Le préjudice pour la Caisse d'assurance maladie se chiffrerait à plusieurs centaines de milliers d'euros. Interrogé, le dentiste aurait alors affirmé aux enquêteurs qu'il était au courant de la procédure qui le menaçait et de l'enquête lancée à son sujet, par l'intermédiaire d'une connaissance... le substitut du procureur de la République de Montpellier. Des informations que le magistrat aurait fournies contre rétribution.

L'inspection générale des services judiciaires saisie

L'avocat du substitut, Me Malgras, donne des précisions. Il assure que son client et le dentiste "s'étaient liés d'amitié". Et lorsque le praticien présumé indélicat a demandé des informations sur l'enquête dont il était l'objet, "mon client les a recherchées et les lui a transmises". Le substitut rencontrait alors de graves "problèmes familiaux et financiers", souligne Me Malgras. Il a "sollicité une aide financière de la part du dentiste", sans que le montant versé au magistrat soit connu. 

Le porte-parole du ministère de la Justice, Guillaume Didier, a affirmé que la garde des Sceaux Rachida Dati "avait immédiatement saisi" l'inspection générale des services judiciaires pour engager une enquête administrative, ainsi que le Conseil supérieur de la magistrature en vue d'une interdiction temporaire d'exercer pour le magistrat concerné. "Il ne s'agit pas d'une sanction administrative, mais d'une mesure de protection de la justice", a ajouté Guillaume Didier.

L'avocat du substitut a fait appel du placement en détention provisoire du magistrat, estimant que celui-ci ne se justifiait pas. L'affaire a été délocalisée au pôle de l'instruction de Paris.   (Source: LCI)

Article dans Le Monde

 

Édition du dimanche 14 septembre 2008
DR

Photo L'Indépendant

 

HéraultLes déboires judiciaires du "petit" procureur accusé de corruption


Patrick Keil, ancien substitut au parquet de Carcassonne puis de Montpellier, dort en prison depuis un mois. Accusé de corruption.

Un marin attrapé avec un kilo de hasch, un voleur de lecteur MP3 et un individu accusé d'avoir agressé des passants à coups de cutter. Voilà les trois dernières affaires sur lesquelles le substitut du procureur de la République de Montpellier Patrick Keil, 45 ans, a requis. C'était le 12 août. Le soir même, il était en garde à vue. Puis placé en détention provisoire deux jours plus tard, mis en examen pour corruption et violation du secret professionnel. Il est actuellement incarcéré à la "Santé", en région parisienne.

Vendredi, le CSM (conseil supérieur de la magistrature) a rendu un avis favorable à la suspension provisoire de celui qui était surnommé le "petit procureur" en raison de sa taille (1,57 m), décision que devrait prendre le garde des Sceaux en début de semaine. S'il conserve son salaire le temps de l'enquête, c'en est probablement fini de sa carrière, de 17 ans passés au service de la justice.

Comment celui qui fut en 1998 à l'origine de l'affaire de dopage Festina - juge d'instruction à Lille, il avait mis Richard Virenque en examen - a-t-il pu en arriver là ? On le soupçonne d'avoir délivré des informations confidentielles à Gilles Payen, dentiste Montpelliérain accusé d'avoir indûment perçu 500 000 € auprès de la sécurité sociale. Avec, comme contrepartie, de petites sommes d'argent (pour un total estimé à 15 000 €), invitations au resto et autres billets de train donnés par le praticien à son "ami" le procureur. De l'avis de tous ceux qui le connaissaient, son contexte familial et un problème d'alcool sont à l'origine de sa descente aux enfers. « Pauvre petit Keil, c'est misérable », entend-on depuis un mois au palais de justice, où le malaise persiste d'autant que l'inspection générale des services enquête.

Dans son bureau, les dossiers s'entassaient, c'était un capharnaüm. Patrick Keil était limité à des dossiers de contentieux et à des permanences pénales le week-end. En ville, on le croisait souvent avec son chien, des sacs plastiques à la main, remplis de DVD et de bouquins dont il était féru, mais l'air ahuri, visiblement pas dans ses baskets.

En fait, il semblerait que l'affaire Festina n'ait pas servi de tremplin à sa carrière. Après Lille, il avait des visées sur un poste à l'étranger, mais le CSM avait émis un avis négatif. Il s'est du coup retrouvé substitut à Carcassonne, un petit parquet. Ce qu'il aurait mal vécu. « Il était bien noté jusqu'alors, mais à partir de 2004, il a divorcé et a sombré. Mais avant, il n'y avait rien à redire sur lui » explique son avocat, Me Jean-Marc Darrigade. Dans l'Aude, il est plutôt connu pour la rapidité et la sévérité de ses réquisitions - « dix minutes, 18 ans requis », se souvient une robe noire.

En 2005, Patrick Keil est muté à Montpellier, et rien ne s'arrange. « Il était en dépression, et seul dans cette ville, privé de ses trois enfants avec son problème d'alcool », poursuit son défenseur. Il fréquente les bars situés près du palais, dans le quartier populaire du Plan Cabanes. Il sympathise avec le dentiste, devenu un camarade de virée nocturne où l'alcool coule à flots. Mais financièrement, il est étranglé. Il paye 1 200 € de pension alimentaire et s'est engagé à régler d'anciennes dettes contractées par son couple. Le dentiste commence à lui donner de l'argent, à lui payer le train pour qu'il aille voir ses enfants à Carcassonne. Patrick Keil tente de lui fournir des infos sur son dossier, dont il n'a pourtant pas la charge. L'enquête devra dire qui a manipulé qui, si le dentiste qui l'a dénoncé - après avoir été incarcéré - s'est servi de lui en jouant sur l'amitié, ou inversement.

Aujourd'hui, affirme son avocat, Patrick Keil s'est réveillé : « Il a reconnu, il a fait une confession totale, il assume sa faute. Il est lucide parce qu'il n'est plus embrumé par l'alcool. Sa carrière est finie et il le sait ».


 

Yanick PHILIPPONNAT